Infolettre

Mai 2025

Mot de la coordination

Mark Carney a récemment annoncé que son gouvernement ne déposerait pas de Budget avant l'automne 2025. S'il nous tarde de savoir comment le nouveau premier ministre du Canada entend prendre à bras le corps le fléau de l'évitement fiscal, phénomène auquel il aurait lui-même participé lors de son passage chez Brookfield Asset Management, nous n'attendons pas son feu vert pour vous offrir des perspectives fertiles pour poursuivre la lutte pour la justice fiscale.

Dans cette édition du mois de mai 2025, nous vous proposons donc un tour d'horizon de l'actualité des dernières semaines. Quelques nouvelles récentes ont particulièrement attiré notre attention, dont :

  • Un article sur les investissements de la Caisse de dépôt et placement du Québec dans les paradis fiscaux ;
  • La publication d'un rapport sur les portes tournantes entre le public et le privé, qui alimente au Canada la banalisation de l'évitement fiscal ;
  • Des signes inquiétants en provenance de l'Irlande, qui indiquent les limites du modèle de développement économique (celui de paradis fiscal) retenu par l'État irlandais.

Bonne lecture !

 

 

Les dossiers chauds

Au Canada, la porosité entre le public et le privé contribue à banaliser l'évitement fiscal (IRIS)

Dans ce rapport, l’Institut de recherche et d’informations socioéconomiques (IRIS) fait état du phénomène de portes tournantes public-privé qui affecte la capacité de l’État à lutter contre l’évitement fiscal. Dans le sillage de ses travaux sur le Luxembourg, l’IRIS s’attaque à l’épineuse question de la banalisation dont l’évitement fiscal fait l’objet jusqu’aux plus hautes sphères du gouvernement en mettant en évidence trois phénomènes par lesquels l’échange constant entre le public et le privé à des postes clefs favorise les entreprises dans leurs tentatives de se dérober à leurs responsabilités fiscales.

Plus qu’une confusion, le problème décrit dans ce rapport évoque l’inféodation des intérêts publics aux logiques du marché, caractéristique du tournant néolibéral que connaît l’État québécois depuis de nombreuses années. Cette indistinction promue par des figures centrales du gouvernement en viendra bientôt à avoir raison d’une certaine idée du bien commun… #Condamner

Consulter le rapport

 

Le CDPQ détient 20 G$ dans les paradis fiscaux

Après des années de tergiversations, la Caisse de dépôt et placement du Québec a récemment accepté de divulguer une liste de ses actifs dans des paradis fiscaux notoires. La liste, obtenue par le journaliste Michel Girard (Le Journal de Montréal), fait état de plus de 20 G$ de tels investissements, qui ne manquent pas de soulever d’importantes questions sur les responsabilités fiscales de la CDPQ et sur son devoir de transparence à l’égard du public québécois.

Pour rappel : une telle liste n’avait pas été produite depuis 2019, signe sans doute que la direction de la Caisse savait très bien que ces placements feraient mal paraître l’institution. Or, depuis l’affaire Brookfield qui avait éclaboussé le candidat Carney, la CDPQ dispose d’une excuse béton : le recours aux paradis fiscaux permettrait de « maximiser » le gain pour le bas de laine des Québécois.e.s. Une excuse quelque peu cynique, lorsque l’on considère que la maximisation des retours sur investissement ne parviendra pas à compenser les ravages de l’évitement fiscal auquel la Caisse s’adonne pour ce faire… #Démasquer

Lire l'article dans le JdeMontréal

 

« Les USA sont en passe de devenir le plus grand paradis fiscal du monde » (Joseph Stiglitz)

Il devient de plus en plus évident que le cas américain devient, sous Trump, le contre-exemple parfait de la marche à suivre en situation de marasme économique. Dans cette tribune, l’économiste Joseph Stiglitz explique en effet comment la stratégie adoptée par l’administration Trump, à base de baisses d’impôts pour les plus riches et de dérégulations fiscales, risque bien d’accroître le déficit commercial américain, désigné par Trump comme principal obstacle au regain de “grandeur” de l’Amérique.

À une époque où l’accumulation de richesse confère à certains le droit de frauder, la promesse d’une vigueur économique renouvelée repose selon Stiglitz dans la capacité de nos États à faire obstacle au désir d’exil fiscal des contribuables les plus riches. À cet égard, la solidarité fiscale internationale mais aussi une plus grande transparence au niveau national s’avèrent être des outils prometteurs pour repousser la déferlante américaine. #Encaisser

Lire la tribune

 

L'Irlande, l'exemple à ne pas imiter

Le modèle économique irlandais, fondé sur le statut de paradis fiscal, n’est pas soutenable - c’est du moins la conclusion à laquelle parvient une équipe de recherche de l’University College Dublin dans une étude parue début mai. Longtemps présentée comme un véritable miracle du capitalisme contemporain, l’économie irlandaise affiche une grande instabilité, à l’heure où les États-Unis entendent revisiter les lois qui permettent aux multinationales américaines de délocaliser leur propriété intellectuelle sur l’île d’Émeraude. 

L’étude rapporte ce qui, en un certain sens, était déjà connu : la participation à la course infernale au moins-disant fiscal se fait au prix de la souveraineté des États. Le mirage irlandais se dissipe dès lors qu’est exposée sa grande dépendance à l’égard de l’administration américaine et des décisions stratégiques prises par les grandes corporations. Une dépendance qui soulève de sérieuses questions quant à la capacité du peuple irlandais à déterminer sa propre politique économique. #Encaisser

Lire le compte-rendu

Du côté de la recherche

 

« Le nouveau visage de la concurrence fiscale corporative » (EU Tax Observatory)

Cette note, produite par l’Observatoire européen de la fiscalité, condense les conclusions dégagées dans une étude publiée en avril. L'étude, consacrée à l’imposition des multinationales, attire l’attention sur la mutation de l’approche des États européens en matière de politique fiscale. Les changements apportés aux régimes fiscaux européens dans le sillage notamment des discussions entourant l’impôt minimum mondial tendraient à réduire l’assiette fiscale (ensemble des revenus et profits imposables) plutôt qu’à l’élargir, une approche qui renoue avec la logique des échappatoires avec laquelle la réforme de l’OCDE entendait rompre.

Ces observations sont, d’un point de vue canadien, particulièrement intéressantes, Mark Carney ayant récemment annoncé vouloir apporter des modifications substantielles aux régimes fiscaux de la propriété intellectuelle et des mesures de recherche-développement. Des modifications qui, à en juger par l’exemple européen, auront une incidence majeure sur le taux d’imposition moyen des multinationales, passé en Europe de 23 % à 21 % entre 2014 et 2022... #Encaisser

 

Lire la note de recherche

À écouter

 

Dans cette édition de « Ça s'explique », le balado d'Alexis De Lancer diffusé sur la plateforme Ohdio, la professeure et fiscaliste Brigitte Alepin explore les façons de contrer les paradis fiscaux. Ce faisant, elle tente notamment d'offrir des éclaircissements concernant l'impasse dans laquelle se retrouvent plusieurs États en matière de lutte contre l'évitement fiscal.

À écouter sur Ohdio