10 janvier 2022 • Volume 1 | Numéro 2
 

BULLETIN SST

Accessibilité des masques N95 en milieu scolaire


Depuis le début de la pandémie de la COVID-19, la question quant à la protection offerte par les masques N95 revient sur le tapis régulièrement, que ce soit pour leur efficacité ou, malheureusement, les problèmes d’approvisionnement. Encore aujourd’hui, ces deux aspects sont toujours d’actualité. À la suite de l’annonce par le gouvernement ontarien de la distribution de ces masques en milieu scolaire et constatant que cette offre puisse être faite au personnel de l’éducation au Québec, il y a lieu d’analyser la situation et l’opportunité pour la Centrale des syndicats du Québec (CSQ) de se positionner.

Mise en contexte

Pour débuter, nous nous permettrons de référer à des concepts extraits du site Web de Santé Canada1 qui assurent de baser notre analyse sur quelques définitions standardisées :

Aérosols - Particules solides ou liquides en suspension dans l'air, dont le mouvement est gouverné principalement par la taille des particules, qui varie de 10 µm à 100 µm2.

Gouttelettes - Particules solides ou liquides en suspension dans l'air, dont le mouvement est gouverné principalement par la gravité et dont la taille est supérieure à 10 µm. Les gouttelettes sont principalement générées à partir de la source infectée, par la toux, les éternuements ou le fait de parler3.

Interventions médicales générant des aérosols (IMGA) - Les interventions médicales générant des aérosols peuvent produire des aérosols en raison de la manipulation artificielle des voies respiratoires4. Il existe plusieurs types d'IMGA associées à une augmentation documentée du risque de transmission de la tuberculose ou de SRAS : l'intubation et les interventions connexes (par exemple, la ventilation manuelle, l’aspiration endotrachéale ouverte), la réanimation cardio-respiratoire, la bronchoscopie, l'induction de l'expectoration, la thérapie avec aérosol par nébulisation, la ventilation non invasive en pression positive (pression positive expiratoire continue ou à deux niveaux). On se demande si d'autres types d'interventions médicales pourraient entraîner la génération d'aérosols, par l'induction de la toux, et causer la transmission de l'infection. Cependant, aucun article publié ne documente la transmission des infections respiratoires (y compris la tuberculose, SRAS et la grippe) par ces moyens. Parmi ces interventions, on peut citer la ventilation par oscillation à haute fréquence, les soins liés à la trachéostomie, la kinésithérapie de drainage; les écouvillonnages du nasopharynx et les aspirats rhinopharyngés.

Appareil de protection respiratoire N95 - Un appareil jetable avec filtre à particules (Remarque : La plupart des appareils de protection respiratoire utilisés à des fins de soins de santé sont des écrans faciaux filtrants jetables couvrant la bouche, le nez et le menton). Les particules aériennes dans l'air sont capturées dans le filtre par interception, impaction par inertie, diffusion et attraction électrostatique. Le filtre est certifié pour la capture d'au moins 95 % des particules d'un diamètre de 0,3 micron, ce qui est la taille des particules les plus pénétrantes. Les particules plus petites ou plus grosses sont recueillies avec une efficacité supérieure. La lettre « N » fait référence à un appareil de protection respiratoire qui n'est pas résistant à l'huile ni étanche à l'huile. Les appareils APR-N95 sont certifiés par le National Institute for Occupational Safety and Health (NIOSH – organisme basé aux États-Unis) et doivent en porter le sceau5.

Masque - Barrière servant à empêcher les gouttelettes d'une source infectée de contaminer la peau et les muqueuses du nez et de la bouche de l'utilisateur ou pour emprisonner les gouttelettes expulsées par l'utilisateur, selon l'utilisation prévue. Le masque devrait être suffisamment durable pour fonctionner efficacement tout au cours de l'activité donnée. On fait référence ici aux masques chirurgicaux (masques de procédures) et non aux appareils de protection respiratoire.

Sur son site Web6, l’Organisation mondiale de la santé (OMS) souligne que « la COVID 19 est causée par le virus SARS-CoV-2, qui se transmet d'une personne à l'autre de plusieurs façons. Ce virus peut se propager lorsque de petites particules liquides sont expulsées par la bouche ou par le nez d’une personne infectée, notamment lorsque celle-ci tousse, éternue, parle, chante ou respire profondément. »

Toujours selon l’OMS et selon les données actuellement disponibles, « le virus se transmet principalement entre les personnes qui sont en contact étroit les unes avec les autres, généralement à moins d’un mètre (faible distance). Une personne peut être infectée lorsqu’elle inhale des aérosols ou des gouttelettes contenant le virus ou lorsque ces derniers entrent directement en contact avec ses yeux, son nez ou sa bouche. Le virus peut également être transmis dans des espaces intérieurs mal ventilés et/ou bondés, où l’on a tendance à rester plus longtemps, car les aérosols restent en suspension dans l'air ou se déplacent sur des distances supérieures à un mètre (longue distance). »

En milieu scolaire, si l’on se fie aux informations plus haut, on constate qu’il y a peu de situations génératrices d’aérosols et que la grande majorité sinon la totalité des transmissions du virus SARS-CoV-2 se fait par gouttelettes. Ainsi, on aurait tendance à conclure que le port du masque de procédure, la distanciation (deux mètres) et les barrières physiques de qualité seraient suffisants pour assurer la protection du personnel et des élèves et limiter la possibilité de transmettre le virus et de contracter la COVID-19.

Cependant, le site Web de l’Institut national de santé publique du Québec (INSPQ) mentionne que « le risque de transmission du SRAS-CoV-2 est augmenté dans des espaces restreints, mal ventilés, à forte densité d’occupants et lorsque la durée d’exposition est prolongée, c’est-à-dire qu’elle dure plus de quinze minutes. Les études suggèrent que les courants d'air entre les personnes dans des milieux intérieurs peuvent aussi être associés à la transmission à plus de deux mètres7. »

La situation en Ontario

Présentement, les mesures sanitaires en vigueur en Ontario dans le secteur scolaire sont identiques à celles prévalant au Québec. Devant la flambée de cas et la hausse des hospitalisations, l’Ontario a reporté au 17 janvier 2022 le retour en présence des élèves dans les classes. En ce qui a trait aux équipements de protection exigés avant la vague liée au variant Omicron, ils étaient aussi les mêmes, soit le port du masque de procédure et une protection oculaire.

Toutefois, les choses ont évolué depuis décembre 2021. Sur le site Web de Radio Canada8, il est indiqué que le gouvernement ontarien entend distribuer dans tout le réseau scolaire des masques N95 et qu’ils seraient disponibles à temps pour le personnel.

Nous avons communiqué avec l’Association des enseignantes et enseignants franco-ontariens (AEF0-SCFP) pour avoir davantage de détails. On nous a précisé que leur organisme a, maintes fois, demandé aux différents conseils scolaires9 de la province de fournir des masques N95 aux enseignantes et enseignants10. Cette demande a toujours été refusée. Ce n’est que tout récemment, plus précisément le 30 décembre 2021, que le gouvernement a pris la décision de fournir des masques N95 à tout le personnel du secteur scolaire. Les conseils scolaires doivent toutefois se les procurer et les distribuer, mais cela ne serait maintenant qu’une formalité. La décision du gouvernement ontarien de distribuer des masques N95 à temps pour le 17 janvier 2022 fait suite à la reconnaissance, par la Santé publique du Canada en novembre 2021, d’une transmission du virus par aérosol.

Il est à noter que les masques sont rendus disponibles, mais que le gouvernement ontarien n’en oblige pas le port par le personnel scolaire. De plus, L’AEFO nous a mentionné qu’aucune analyse n’a été faite sur l’opportunité ou non d’exiger ces masques pour leurs membres. Pour eux, il s’agit de la meilleure protection dans une situation de transmission par aérosol, ce qui a justifié leur prise de position. Il n’a jamais été question pour eux d’analyser les contraintes de porter ce masque en milieu scolaire. Il faut dire qu’au moment d’écrire ces lignes, les masques n’ont pas encore été portés par le personnel scolaire et cela ne se fera pas avant le 17 janvier 2022, au plus tôt.

Le côté positif des masques N95

Il ne fait aucun doute dans la littérature que le masque N95 constitue la meilleure protection qui soit, dans un contexte d’une transmission par aérosol. Cependant, en l’absence d’une telle transmission, son utilité est contestable, car un masque de procédure suffit amplement à protéger la personne.

Pourquoi alors s’en priver, surtout qu’on revendique la prise en compte de la transmission par aérosol depuis le début de la pandémie? Il nous faut répondre que son utilisation implique des contraintes importantes qu’il ne faut pas négliger.

Les contraintes inhérentes au port du masque N95

Outre le fait qu’il s’agit effectivement de la meilleure protection qui soit dans un contexte de transmission par aérosol, plusieurs sites ou documents indiquent des contraintes importantes relatives au port de ce masque. Nous avons également obtenu un portrait de la réalité terrain relative au port du masque N95 chez nos membres du secteur de la santé.

Tout d’abord, signalons que l’INSPQ ne reconnait pas vraiment une transmission par aérosol, contrairement à la Santé publique du Canada, l’OMS et plusieurs autres organismes de santé publique11 et cela malgré le fait que les recommandations de l’INSPQ font régulièrement référence aux IMGA. Le premier obstacle à la distribution de masques N95 dans le milieu scolaire pourrait donc être l’INSPQ elle-même.

D’autre part, les contraintes associées au port des masques N95 sont nombreuses. En voici plusieurs, en résumé, selon la littérature consultée et l’expérience de nos membres du milieu de la santé :

  • Porter le N95 est très inconfortable. Selon les informations que nous avons recueillies, plusieurs membres du personnel du réseau de la santé se sont plaints de l’inconfort qu’amène le port du masque N-95, particulièrement lorsqu’il est porté plusieurs heures. Son efficacité amène une difficulté à respirer et à parler;
     
  • Il nécessite, à chaque nouvelle utilisation, un ajustement afin de s’assurer qu’il protège adéquatement l’utilisateur contre les particules pouvant contenir le virus. Ces ajustements doivent être faits par une personne compétente. Ces ajustements prévoient, notamment, l’injection d’un liquide pour s’assurer de l’étanchéité. Ce liquide peut provoquer des nausées;
     
  • Le masque N95 est conçu pour être à usage unique. Lorsqu’une personne retire le masque N95 de son visage, même quelques secondes, elle ne peut le réutiliser et doit en prendre un nouveau, lequel peut devoir être ajusté à son visage. La réutilisation d’un masque après désinfection (mesure de retraitement) n’est pas recommandée puisque l’étanchéité du masque après désinfection n’est pas garantie. Il existe des protocoles permettant la réutilisation, mais il s’agit d’une stratégie de dernier recours selon l’IRSST12;
     
  • Le port d’un masque N95 nécessite, pour les hommes, un rasage quotidien de près, car ce type de masque perd totalement son efficacité si l’on porte une barbe ou une moustache. En fait, l’ensemble de la figure et du cou doit être imberbe.

De plus, selon la plupart des sites Web consultés, son utilisation ne serait pas nécessaire dans un contexte autre que l’intervention sur un patient en contexte de soins. Par exemple :

Analyse et recommandations

Soyons clairs : dans une situation de transmission par aérosol, le masque de procédure ne protège pas adéquatement. Au Québec, la santé publique n’a jamais réellement pris position pour reconnaitre une telle transmission. C’est la raison pour laquelle il a fallu que la CSQ se batte pour que nos membres en santé l’obtiennent. C’est maintenant chose faite et, qui plus est, la Commission des normes, de l'équité, de la santé et de la sécurité du travail (CNESST) rend le masque N95 obligatoire partout dans les milieux de soins.

Est-ce que cela implique que la CSQ aille plus loin et le demande pour tout le personnel en éducation?

Nous pensons que les contraintes évoquées plus haut vont en rebuter plus d’un, malgré les risques à ne pas le porter en milieu scolaire. Sans parler des directions de centres de services scolaire (CSS). Nos membres pourraient trouver cela trop et préférer s’en tenir au masque de procédure le considérant amplement suffisant malgré le contexte sanitaire. En outre, nous recevrons vraisemblablement une fin de non recevoir du gouvernement, qui ose à peine reconnaitre les problèmes de qualité de l’air dans nos écoles!

Cependant, certains de nos membres éprouvent une vive anxiété à l’idée de contracter la COVID-19. D’autres sont immunosupprimés. Les femmes enceintes ont certaines craintes, bien légitimes. L’absence ou l’insuffisance de la ventilation dans les établissements scolaires augmentent également le risque de propagation du virus et provoque indéniablement d’énormes inquiétudes chez nos membres.

Pour l’ensemble de ces raisons et parce que c’est la meilleure protection, nous sommes d’avis qu’on ne peut simplement pas dire non à une distribution de masques N95 au personnel scolaire en raison des contraintes qui y sont associées. Nous croyons plutôt que le mieux serait de laisser nos membres décider de le porter ou non. À cet effet, nous recommandons d’exiger que des masques N95 soient accessibles, sans être toutefois obligatoires en milieu scolaire et que ces masques soit remis sur demande d’un membre du personnel qui désire en porter. Cela sera plus envisageable pour les directions de CSS et le gouvernement, tout en permettant à nos membres qui le souhaitent un tel niveau de protection.

La question des ajustements de ce masque, communément appelé dans le milieu le « fit test », reste tout de même important pour que le masque N95 soit efficace. Ces tests nécessitent du personnel qualifié dans les écoles où des membres vont se prévaloir de leur droit à le porter. Il faudra alors former une personne dans chaque école qui deviendra apte à procéder aux ajustements.

La nécessité d’avoir du personnel pour procéder aux « fit-tests », en période de pénurie de personnel et de pandémie, est aussi étroitement discutable que le risque de pénurie de masques N95 évoqué par le gouvernement et l’INSPQ. Il faut donc s’attendre à un barrage contre la distribution de masques N95 en milieu scolaire pour ces raisons, même si elles sont injustifiables face à la santé et la sécurité de nos membres.

Finalement, en parallèle, notre analyse fait ressortir encore une fois l’importance d’une ventilation adéquate dans les locaux de nos écoles, surtout en période hivernale. Ainsi, nous terminons en recommandant de profiter de l’occasion pour rappeler l’importance de la résolution de ce dossier auprès du ministère et du gouvernement.

Jérôme Bazin, conseiller en santé et sécurité du travail

Marc Gagnon, conseiller en santé et sécurité du travail

Jean-François Piché, conseiller à la recherche-action en relation du travail Service des relations du travail


1 GOUVERNEMENT DU CANADA (2017). Pratiques de base et précautions additionnelles visant à prévenir la transmission des infections dans les milieux de soins, [En ligne], [https://www.canada.ca/fr/sante-publique/services/publications/maladies-et-affections/pratiques-de-base-precautions-infections-aux-soins-de-sante/partie-d.html#D.V].
2 STELLMAN JM, editor. Encyclopaedia of occupational health and safety. 4th ed. Geneva
3 PUBLIC HEALTH AGENCY OF CANADA (FORMERLY HEALTH CANADA). Infection control guidelines : Routine practices and additional precautions for preventing the transmission of infection in health care. CCDR (1999), 25S4:1-142.
4 WORLD HEALTH ORGANIZATION. Infection prevention and control of epidemic-and pandemic-prone acute respiratory diseases in health care. World Health Organ (2007), WHO/CDS/EPR/2007.6.
5 NATIONAL INSTITUTE FOR OCCUPATIONAL SAFETY AND HEALTH (NIOSH). NIOSH respirator selection logic 2004. Report Nº: 2005-100.
6 ORGANISATION MONDIALE DE LA SANTÉ (2021). Maladie à coronavirus 2019 (COVID 19) : comment se transmet la COVID-19?, [En ligne] (avril), [https://www.who.int/fr/news-room/questions-and-answers/item/coronavirus-disease-covid-19-how-is-it-transmitted].
7 INSTITUT NATIONAL DE SANTÉ PUBLIQUE DU QUÉBEC. COVID-19 : Modes de transmission et mesures de prévention et de protection contre les risques, incluant le rôle de la ventilation, [En ligne], [https://www.inspq.qc.ca/covid-19/environnement/modes-transmission#air].
8 RADIO CANADA. (2022). « L’Ontario garde ses écoles fermées et impose d’autres restrictions », Ici Toronto (03-01-2022), [En ligne], [https://ici.radio-canada.ca/nouvelle/1851442/covid-19-ontario-annonce-doug-ford-ecoles].
9 L’équivalent de nos centres de services scolaires. En Ontario, ce sont les conseils scolaires qui autorisent les achats d’équipement. Ici au Québec, une telle décision doit d’abord obtenir l’aval du ministère.
10 Notez que l’organisme ne représente que du personnel enseignant. L’AEFO est toutefois membre du SCFP.
11 GOUVERNEMENT DU CANADA (2021). COVID-19 : Principaux modes de transmission. [En ligne], [https://www.canada.ca/fr/sante publique/services/maladies/2019 nouveau coronavirus/professionnels-sante/principaux-modes-transmission.html] et ORGANISATION MONDIALE DE LA SANTÉ (2021). Maladie à coronavirus 2019 (COVID 19) : comment se transmet la COVID 19 ? [En ligne], [https://www.who.int/fr/news-room/questions-and-answers/item/coronavirus-disease-covid-19-how-is-it-transmitted]
12 INSTITUT DE RECHERCHE ROBERT-SAUVÉ EN SANTÉ ET EN SÉCURITÉ DU TRAVAIL (2020). Fiches de l’IRSST concernant la COVID-19, [En ligne] (septembre), [https://www.irsst.qc.ca/covid-19/avis-irsst/id/2733/recommandation-sur-le-temps-daeration-des-appareils-de-protection-respiratoire-de-type-n95-apres-desinfection-a-la-vapeur-de-peroxyde-dhydrogene-dans-un-sterilisateur-a-basse-temperature].